Nouvelle vie || Rachel

Une année venait de s’achever, une nouvelle s’annonçait. La plus jeune des Caldwell avait fait le vœu que celle à venir soit moins difficile que les deux précédentes. Ressasser les malheurs vécus n’était pas dans ses habitudes, et malgré les faits choquants qu'elle avait pu vivre en si peu de temps -deux ans, c’est finalement si court !-, Sunshine préférait faire de bilan des choses positives passées et futures. Son psy lui avait même conseillé de tenir un carnet de bord, notamment avec des petits bonheurs quotidiens et des grands bonheurs inhabituels. Ce qu'elle avait fait en se trouvant un planner tout mignon qu'elle gribouillait à tout bout de champ.

Depuis qu'elle l’avait commencé, elle y voyait plus clair dans sa vie. A la fois agenda et pense-bête, la dynamique jeune femme y avait vite pris goût et ne s’en séparait plus que très rarement. Toujours glissé dans son sac du jour, ou posé près d’elle sur le canapé, la table du salon ou son lit, il s’était rapidement étoffé. Elle y notait tout simplement toute sa vie. Dingue comme un simple petit accessoire pouvait vous faire gagner un temps fou tout en vous rendant plus sereine. Sans être une acharnée du contrôle, elle pouvait maintenant oublier les détails une fois noté dedans. C’était son deuxième cerveau, en quelque sorte.

Et son deuxième cerveau lui avait été utile ce matin pour la visite du chantier, encore qu'elle n’aurait pas pu l’oublier tellement l’exercice lui plaisait. Visiter et faire le point avec Meredith, Carrie, Harper et le chef de chantier permettait de voir concrètement l’avancement du projet. Les travaux du Sweeties avançaient bon train, et bientôt le petit café pourrait rouvrir. Parallèlement à cela, Carrie continuait de la former à la cuisine des muffins et autres spécialités du café pour ne pas que les petits progrès qu'elle avait fait avant l’incendie soient perdus. D’autant que dans l’histoire, elle était monté en grade ! D’où un argument de plus au deuxième cerveau. Pas le temps de s’ennuyer, elle avait plein d’idées.

Elle revenait du rendez-vous chantier lorsqu'elle fut abordée par un passant poussant une poussette où deux petits bouts gigotaient. Un sourire lui éclaira le visage en pensant à ses neveux avant que la question de l’inconnu, et le hasard l’accompagnant, la firent rire un peu. Pas de bol. Ou si. Enfin non… Mais quand même ! C’est votre jour de chance : à le trouver, aucun souci pour moi… cependant c’est également votre jour de malchance, il est fermé depuis quelques mois pour cause de travaux. Il n’ouvrira pas avant plusieurs semaines encore. Rachel Caldwell, je suis serveuse au Sweeties… enfin le redeviendrait à l’ouverture ! précisa-t-elle pour expliquer son amusement face à la coïncidence.

Enchantée également Andrew. Et bonjour vous deux ! rajouta-t-elle en se penchant vers les deux petits dans la poussette, qui la regardaient intensément, soudainement surpris d’être le centre d’attention de cette inconnue. Cependant, elle ne tenta pas un geste vers eux, sachant qu’elle détestait quand un inconnu s’aventurait à toucher son neveu ou sa nièce sans gêne et sans y être invité. Puis elle se redressa pour répondre à la deuxième interrogation de l’homme face à elle : Le mieux c’est de vous rapatrier vers le pied de la station, c’est l’endroit où vous aurez le plus de choix. Il y a le Blenz… ou encore le Ingrid’s qui sont pas mal. Sinon j’aime beaucoup The Whistler Tea House, mais il est un petit peu plus loin d’ici et plutôt fréquenté suivant l’heure...

Elle regarda cet homme dont elle ne savait fichtrement rien, si ce n’est qu’il se baladait avec deux bambins incapables de dire s’ils étaient avec leur père, le baby-sitter ou un kidnappeur. Et pas un instant elle ne se méfia de lui, naïve enfant. Il était avenant, poli, et attentionné avec les jumeaux dans leur cocon. Qui pouvait être mauvais au contact de ces deux adorables poupons souriants. Moins qu’Ethan et Sasha, bien sur. Mais adorables quand même. Si vous voulez, on peut faire un bout de chemin ensemble, je me rends en ville également, proposa-t-elle innocemment. On aurait pu dire que c’était son métier qui lui avait appris à être si serviable et altruiste. Mais il fallait bien avouer que c’était déjà dans sa nature avant.

Il fallait aussi dire que la station grouillait encore de monde puisque la saison hivernale n’était pas tout à fait fini. Baignée dans cette ambiance depuis son enfance, elle se targuait de savoir reconnaître un intéressé, voir un lourdeau… Andrew n’en avait pas les caractéristiques. Puis la piste qui rejoignait la station était une des plus passantes de Blackcomb, desservant tous les parkings dédiés aux skieurs et autres snowboarders. Pas grand risque donc. Voulant engager la conversation un peu plus avant, elle reprit : Vous êtes ici en vacances ? Ma soeur aussi a eu des jumeaux, ils n’ont pas un an. Les vôtres ont quel âge ? demanda-t-elle donc au supposé papa, commençant à avancer vers leur destination.

HJ:

L’endroit est petit, mais fortement fréquenté. En pleine saison, la station accueille tellement de monde qu’il y en a presque pas assez ! renchérit-elle en rigolant. Mais c’est ce qui fait tout le charme de ce petit coin de paradis, qu’on soit gourmand ou non. Aucun doute à cet instant, la locale était amoureuse de son patelin comme une New-Yorkaise pourrait l’être de Manhattan. Encore que même là, la new-yorkaise qui était devenue son amie préférait aussi cet endroit perdu dans la montagne canadienne. Comme quoi, c’était vraiment une ville qui ne payait pas de mine mais qu’on appréciait très vite.

La conversation fut lancée, et les deux jeunes gens trouvèrent vite de quoi l’alimenter. D’abord sur sa venue ici. C’est drôle, ma soeur aussi travaille à l’hôpital, ne put s’empêcher de faire remarquer Rachel, s’etonnant de cet autre point commun. En chirurgie cardiaque. Mais après tout, tout cela ne constituait pas tant de point commun que ça. Les enfants, le lieu de travail… Ils vont faire 6 mois le 23. Puis la dernière remarque de cet inconnu, cette touche d’humour sur les aléas d’êtres parents d’une paire de bébés, fit rire la jeune serveuse encore bien loin de ces considérations. D’un, elle avait l’impression d’entendre un peu Linoy quand cette dernière ralait sur le fait qu’ils étaient deux pour deux fois plus de sport. Et de deux, elle imaginait bien qu’une fois autonomes pour partir dans deux directions différentes - a croire qu’ils se mettaient d’accord en amont- on pouvait en regretter le temps béni des transats dans lesquels les poser pour souffler quand même un peu. Pas sur que je lui dise, elle pourrait prendre peur ! plaisanta-t-elle également, même si elle savait à présent sa frangine bien plus forte que jamais, aux cotés d’un mari solide et présent. Elle n’avait aucun doute qu’à deux, ils sauraient gérer.

Je profite de ce temps pour me former à suppléer en cuisine si besoin. Inutile peut-être de s’étaler sur le fait que Carrie lui avait proposé d’être son associée et qu’à ce titre, elle prenait part aux réunions de chantiers comme celle dont elle venait. Inutile à cet inconnu qui, bien que sympathique, restait un inconnu. Et pour garder aussi mes neveux dès que je peux ! Ils grandissent si vite qu’on à envie de ne pas rater un moment !

Vous êtes arrivés depuis quand sur la station ?

HJ: